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Le 29 juillet 2020, plusieurs comptes sur les réseaux sociaux révèlent la présence d’un avion de transport C-130 Hercules sur la base d’Al-Watiyah – sans que l’information soit commentée/confirmée par les autorités locales ou turques. Jusqu’à ce jour, la présence turque était fortement suspectée en raison des fréquents vols depuis la Turquie (à destination d’Al-Watiyah et de Misrata) et de l’apparition de systèmes de défense anti-aérienne sur la base début juillet. Par ailleurs, des sources journalistiques évoquaient des discussions en cours entre Ankara et le gouvernement de Tripoli concernant l’installation de deux bases turques, l’une aérienne à Al-Watiyah et l’autre navale à Misrata.

L’analyse des images de la base libyenne d’Al-Watiyah par Geo4i nous permet de confirmer la montée en puissance du dispositif de la Turquie à l’ouest de la Libye. La présente note commente l’intérêt stratégique que revêt la base aérienne pour Ankara dans l’éventualité d’une campagne contre la ville de Syrte. Plus précisément, elle étudie la problématique de recherche de supériorité aérienne par la Turquie via le déploiement de systèmes de défense anti-aérienne et/ou le déploiement de drones et d’avions de combat sur la base.

A l’heure actuelle, la Turquie et les Émirats arabes unis (EAU) sont à parité en termes de contrôle de l’espace aérien. La « parité aérienne » décrit une situation où aucune des forces n’a l’ascendant sur l’autre dans l’espace aérien. Le degré suivant correspond à la « supériorité aérienne » qui voit l’une des forces disposer d’un avantage relatif sur l’adversaire lui permettant de mener des opérations aériennes dans un cadre espace-temps donné sans interférence prohibitive. L’ultime étape consiste à atteindre une « suprématie aérienne ». Dans ce cas de figure, la force adverse est incapable d’interférer de façon efficace dans le domaine aérien

. Les EAU disposent en la matière d’un léger avantage du fait de leur accès aux bases égyptiennes et de la présence d’avions de combat russes déployés en juin dernier en soutien aux forces de Khalifa Haftar et au groupe Wagner. Le renforcement des capacités militaires turques à Al-Watiyah peut potentiellement faire basculer ce rapport de force en faveur de la Turquie. L’obtention par Ankara de la supériorité aérienne serait un atout majeur pour sécuriser non seulement sa présence en Tripolitaine mais également accroître son rayonnement en Afrique du Nord et au Sahel, tout en offrant un appui aérien aux forces terrestres dans le siège de Syrte.

La première partie de ce travail s’attarde sur le soutien apporté par la Turquie et les Emirats arabes unis à leurs respectifs protégés et ce depuis le début des opérations contre Tripoli en avril 2019. La seconde partie aborde les derniers événements survenus à la base d’Al-Watiyah. Les équipements déployés attestent de la volonté de la Turquie d’utiliser la base à des fins opérationnelles.

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La guerre d’influence de la Turquie et des EAU en Libye

La Turquie et les EAU se mènent une guerre par proxies en soutenant respectivement le Gouvernement d’Union Nationale (GUN) et l’Armée Nationale Libyenne (ANL). Depuis l’offensive de Tripoli, lancée le 4 avril 2019, les deux puissances régionales s’affrontent à travers l’envoi d’équipements militaires et de mercenaires dans le but d’accroître leur influence et de protéger leurs intérêts dans la région.

Les Émirats soutiennent l’ANL menée par Khalifa Haftar depuis 2014. A cette époque, Abu Dhabi et Le Caire offrent un soutien logistique et capacitaire à l’ANL dans sa campagne contre les groupes islamistes et djihadistes présents dans les villes de Derna et de Benghazi. En avril 2019, les EAU, l’Arabie saoudite et l’Egypte se rangent aux côtés de Khalifa Haftar quand celui-ci décide de lancer une offensive contre Tripoli. L’Arabie saoudite finance, l’Egypte soutient logistiquement tandis que les EAU et la Russie arment l’ANL – avec le soutien tacite de la France. Les nombreux vols en provenance des Émirats et à destination de la Libye et de l’Egypte (hub logistique) attestent de l’investissement et du soutien apporté. Abu Dhabi fournit des drones Wing Loong de fabrication chinoise à l’ANL, qui les emploie depuis la base de Jufra. Les frappes menées par les Wing Loong – ainsi que par des avions de combat à certaines occasions – permettent à l’ANL de progresser en direction de la capitale. Les Émirats dotent également l’ANL de systèmes de défense Pantsir de fabrication russe déployés près des bases/sites stratégiques et lignes d’approvisionnement en Tripolitaine. La présence de combattants de Wagner – notamment de snipers – en septembre 2019 dans le sud de Tripoli a un effet psychologique et tactique important au cours des opérations. Les systèmes de défense associés aux drones et à la présence de Wagner permettent de sécuriser l’avancée des forces de l’ANL. Toutefois, fin 2019, le rapport de force bascule au profit du GUN grâce au soutien majeur d’Ankara.

Au printemps 2019, la Turquie officialise son soutien au GUN alors en difficulté face à l’offensive de l’ANL. Auparavant, Ankara fournissait un soutien capacitaire (à travers, notamment, l’envoi d’armements) aux groupes armés islamistes à Benghazi alors opposés à Khalifa Haftar. En mai 2019, le soutien turc se matérialise par l’envoi d’armes et de véhicules blindés destinés aux groupes armés affiliés au GUN. Il se manifeste également par le déploiement initial de drones Bayraktar TB2 qui ont fait leurs preuves quelques mois plus tôt en Syrie. Les drones permettent au GUN de rééquilibrer temporairement le rapport de force au cours de l’été 2019. Toutefois, le manque de systèmes de défense anti-aérienne du GUN l’empêche de prendre le dessus au cours des affrontements. Par ailleurs, les capacités opérationnelles des drones Wing Loong, l’envoi d’équipement par Abu Dhabi et la présence de combattants de Wagner (à partir de septembre 2019) ne permettent pas au GUN de repousser l’offensive de l’ANL. Ainsi, les difficultés rencontrées par le GUN renforcent la dépendance du gouvernement de Tripoli envers Ankara. En novembre 2019, le GUN et Ankara signent deux accords : maritime et sécuritaire. Dès lors, les livraisons d’armement, le déploiement de mercenaires syriens et de personnels militaires turcs en soutien s’accélèrent. En début d’année, des moyens de défense anti-aérienne, parmi lesquels le MIM-23 Hawk et les systèmes Korkut et HISAR-A, sont déployés dans les environs des aéroports de Misrata et de Mitiga. Ils sont complétés par l’envoi de systèmes de guerre électronique Milkar-3A3 V/UHF et Koral. En début d’année, le renforcement des capacités militaires aériennes et l’envoi de conseillers militaires turcs permettent au GUN de prendre le contrôle de plusieurs villes côtières à l’ouest de la capitale. La bascule s’opère le 17 mai 2020, lorsque les forces armées affiliées au GUN prennent le contrôle de la base d’Al-Watiyah, détenue par l’ANL depuis 2014. La destruction de plusieurs Pantsir au cours de l’offensive sur Al-Watiyah et l’évacuation de Wagner témoignent des difficultés rencontrées par les forces de Khalifa Haftar pour opérer les systèmes russes. La perte de la base précipite le retrait des forces de l’ANL. Depuis, l’ANL s’est redéployée à Syrte, Jufra et Ras Lanouf, où se sont également retirés les membres de Wagner.

Au printemps 2020, la Turquie déploie des frégates depuis lesquelles elle aurait tiré des missiles contre des drones appartenant à l’ANL. Ces manœuvres navales ont été accompagnées de missions de F-16 turcs en Méditerranée, plus particulièrement près des côtes libyennes. L’analyse du soutien turc révèle une montée en puissance progressive avec le déploiement de capacités terrestres, navales et aériennes.

La ville de Syrte marque la nouvelle ligne de front suite au retrait de l’ANL des environs de Tripoli. Depuis le mois de juin, les deux camps renforcent leurs capacités militaires et rassemblent des unités autour de Syrte. La ville pourrait ainsi redevenir le lieu d’affrontements violents après avoir connu les derniers jours de Mouammar Kadhafi en 2011 et l’emprise de l’Etat islamique en 2015-2016. La ville étant excentrée par rapport aux positions turques en Tripolitaine (Tripoli – Syrte : 370 km), le contrôle de l’espace aérien est une dimension essentielle dans l’éventualité d’une offensive dans la zone. Pour rappel, la Turquie est présente à Tripoli, à Misrata et à Al-Watiyah. La recherche d’une supériorité aérienne est d’autant plus importante qu’Abu Dhabi dispose d’un certain avantage grâce aux bases d’Al-Khadim et de Benghazi en Libye et celles de Sidi Barrani et Uthman en Egypte.

 

Turquie : recherche de supériorité aérienne ?

La base d’Al-Watiyah fut construite par les Américains lors de la Seconde Guerre mondiale. Située à 130 km au sud-ouest de Tripoli, elle est l’une des plus importantes en Libye. En 2011, un dépôt de munitions et la piste de la base ont été endommagés au cours de l’intervention en coalition de l’OTAN. En mai 2020, après plusieurs offensives, le GUN en prend le contrôle et expulse les forces de l’ANL.

Les événements observés au cours des dernières semaines laissent à penser que la base pourrait être utilisée par la Turquie pour renforcer sa présence dans la région Afrique du Nord et Sahel et sécuriser le gaz en Méditerranée orientale.

Dans la nuit du 4 au 5 juillet 2020, des aéronefs non identifiés auraient mené des frappes contre Al-Watiyah. L’imagerie satellitaire disponible permet de constater que des frappes ont été menées au sud de la base contre des systèmes de défense anti-aérienne MIM-23 Hawk et des radars. Cette attaque peut être interprétée comme un prélude à une lutte pour le contrôle de l’espace aérien. En effet, quelques jours avant les frappes, des convois chargés d’équipement avaient été aperçus se dirigeant vers la base aérienne. Le site Menadefense souligne que les Emiratis sont vraisem-blablement à l’origine des frappes – Abu Dhabi ayant à la fois les capacités (Mirage 2000) et un motif pour intervenir. A la suite des frappes, de nouveaux équipements, dont des MIM-23 Hawk, ont été installés.

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Début juillet, plusieurs avions de transport turcs auraient acheminé de l’équipement depuis la Turquie à la base d’Al-Watiyah. Selon Geo4i, environ 15 aéronefs auraient effectué des vols entre la base d’Eriklet (222nd Squadron), située dans la province de Kayseri, et la Libye. Le 29 juillet, les images satellitaires confirment cette présence turque. Plus précisément, on observe sur le tarmac un C-130 Hercules connecté à un générateur de puissance. La présence de ce dernier semble indiquer un problème technique ayant retardé l’appareil, ce qui aurait permis sa télédétection.

L’image satellitaire confirme le déploiement d’au minimum trois systèmes de défense sol-air MIM-23 Hawk et radars AN/MPQ-64 sous filets de camouflage. Sur l’un des systèmes MIM-23 Hawk, un missile est visible. Il est important de noter que des systèmes Hawk et Korkut ont été acheminés depuis la Turquie à destination du port de Misrata en janvier 2020. Les deux sites sol-air au sud de la base sont protégés par des murs type « Bastion Wall », vraisemblablement en réponse aux frappes menées au début du mois de juillet sur la base.

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Le dispositif de défense anti-aérienne est complété par la présence d’un canon anti-aérien autopropulsé AVC-30 Korkut et d’un véhicule de Command and Control (C2) AVC-30 Korkut. Des chars T-55 et T-62 sont également visibles au nord de la base. Ces derniers ont été probablement déployés par l’ANL lorsque celle-ci contrôlait la base. Par ailleurs, des traces de roues devant des hangars suggèrent que des véhicules blindés auraient été livrés.

Outre les équipements militaires, l’imagerie satellitaire confirme des travaux d’aménagement de la base aérienne. Des bâtiments de communication et contrôle sont visibles. Ainsi, une tour de contrôle, une aide à la navigation et un support au sol ont été détectés dans la partie nord-est de la base. La présence de véhicules dans les environs de la tour de contrôle confirme une activité sur la base. De même, l’aide à la navigation est utilisée pour l’arrivée d’avions de transport. Un centre de communication est, semblerait-il, en voie d’aménagement également au nord-est d’Al-Watiyah, comme l’attestent les travaux de nettoyage en cours. Par ailleurs, deux antennes satellites peuvent être observées. Aucun radar de longue portée n’a été détecté sur l’image. A ce stade, l’absence de systèmes de guerre électronique avancée (brouilleur, intercepteur, radar de veille lointaine, etc.) laisse penser que les forces turques sont dans une optique de consolidation et de réaménagement de la base avant le déploiement permanent de capacités ariennes (drones et avions de combat). Cette hypothèse est renforcée par les travaux de réparation de la piste au sud-est de la base et le nettoyage au centre du hangar pouvant abriter des aéronefs.

Enfin, l’aménagement de la zone de vie située à moins de 2 km au nord (travaux de nettoyage en cours et construction d’abris anti-roquettes) suggère la présence ou du moins l’arrivée imminente de personnels militaires turcs.

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